Ricardo Simian, entre science et musique

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« Je suis désolé de ne pas assez bien connaître le français pour faire cet entretien dans votre langue ». C’est par ces mots que Ricardo Simian m’accueille. Et pourtant des langues il en connait au moins quatre : l’espagnol, il a grandi au Chili, l’italien, sa famille est originaire de la Botte, l’allemand car il vit désormais en Suisse et également l’anglais. Son sourire est contagieux et son intérêt pour son métier l’est tout autant. Les questions abondent facilement car l’écouter parler est passionnant.

Il faut dire que son profil est atypique. Une question aussi simple que qui êtes vous permet de dessiner l’aspect hétéroclite de son parcours « Je suis musicien. Mais j’ai aussi étudié l’ingénierie avant d’être musicien. (…)Tous ces éléments mis ensemble ont fait que j’ai monté ma compagnie de recherche et de production d’instruments, en particulier des instruments anciens, grâce à la technologie d’impression et de modélisation 3D ». Cette fusion entre la musique et la science, Ricardo Simian l’incarne parfaitement. Sa chemise à carreau, ses lunettes et sa voix posée sont la parfaite représentation de ce que l’on imagine chez un scientifique. Et pourtant, quand il commence à parler de musique, il est difficile de ne pas voir à quel point elle lui est importante.

A la plupart des questions il répond d’ailleurs en deux temps : l’aspect technique et l’aspect éthique : la réponse du scientifique et la réponse du musicien. Il faut dire que la musique a une place de premier plan dans sa vie : « J’ai commencé vraiment tôt. Comme pour tout le monde la musique est entrée dans ma vie par erreur. Mes frères et sœurs prenaient des cours de musique et je me suis joins à eux. Mais je suis celui qui a continué de jouer ». Son instrument de prédilection : le cornet. C’est sans doute pour cela que c’est le premier instrument qu’il a créé. Son passage de « joueur » à « créateur », est d’ailleurs pour lui plus que logique. En tant que musicien, et particulièrement de musique ancienne, il était en contact permanent avec les fabricants. Mais le déclic s’est fait il y a quatre ans lorsqu’il a découvert la technique d’impression en 3D en regardant des documentaires sur le sujet : « je me suis rendu compte que la technique d’impression et de modélisation 3D avait suffisamment progressé pour être en capacité de créer des instruments et comme personne ne le faisait j’ai décidé de le faire moi-même ».

Une initiative couronnée de succès et ce dès la première tentative, malgré l’absence de moyens et un accès restreint à la technologie. La réaction de ses collègues musiciens est d’ailleurs très positive : « Au début je voulais juste faire une expérience et quand je leur ai fait écouter le son ils m’ont immédiatement dit que c’était vraiment très bon ». Désormais, il ne joue d’ailleurs plus qu’avec ses créations : « c’est toujours agréable de jouer avec l’instrument que vous avez créé, cela renforce votre lien affectif avec l’objet ». Des objets qui sont créés étape par étape. Pour me l’expliquer le musicien laisse alors place au scientifique. La première phase consiste à mesurer les instruments, d’entrer les mesures dans l’ordinateurs afin de mettre en place la modélisation. Ensuite de nombreux choix doivent être faits comme le type de l’imprimante (qui varie selon les matériaux utilisés).

Quant au possible futur de cette technologie, Ricardo Simian me confie : « avec de l’argent et un temps illimité je serai en capacité de créer tous les instruments d’un orchestre entier ». Cependant, malgré toutes ses informations, une question me semblait impossible à éviter, ne serait-ce que parce qu’elle pouvait être à l’origine d’un conflit entre le scientifique et le musicien : quel est l’impact de cette nouvelle manière de créer pour le monde de la musique ? Ricardo Simian est formel : utiliser la technologie pour fabriquer des instruments est plutôt quelque chose de positif. Le coût, inférieur, permettrait notamment aux jeunes musiciens de posséder plusieurs instruments et d’en essayer toute une variété. Une fois qu’ils ont trouvé un modèle qui leur plait, rien ne les empêche d’aller chez un luthier pour avoir un instrument fait par l’homme.

L’impression 3D permet d’approfondir la recherche et ce à moindre coût. La conversation s’est aussi étendue aux autres nouveautés technologiques possibles. « Je pense qu’une perspective encore plus terrifiante peut-être envisagée. Dans 15-20 ans non seulement les instruments seront créés de manière synthétique mais les joueurs seront aussi remplacés par des robots qui seront moins chers et plus précis ». Cependant, une fois encore le scientifique et le musicien semblent s’accorder autour d’une idée : « Nous sommes encore en capacité de choisir ce que nous voulons voir ». Pour Ricardo Simian, la question ne se pose pas : le musicien et le scientifique peuvent être une seule et même personne avec ses convictions et ses envies. En tout cas ce qui est sûr c’est qu’il est le parfait exemple que science et musique peuvent parfaitement collaborer.

Eléonore Terville