« On est responsable d’amener l’instrument au maximum de ses compétences »

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Vendredi 20 juillet à 12h30, le claveciniste Justin Taylor a proposé un programme pour clavecin seul. L’artiste n’est pas la seule personne à avoir touché au clavecin. Effectivement, il y a également Remy Babiaud, accordeur de profession qui travaille au festival de Saintes sur piano forte, orgue et clavecin.

Depuis combien travaillez-vous au festival ?

Je travaillais à l’origine pour l’abbaye aux Dames toute l’année pour d’autres événements. Avant, j’étais salarié dans le magasin Blanchard Musique qui vend des instruments et s’occupe de leur réparation. Je ne pouvais pas me libérer pendant le festival. Maintenant que je suis à mon compte, ça fait 2 ans que je peux y travailler. Le reste de l’année, je fais des accords chez les particuliers, sinon je travaille essentiellement à l’abbaye aux Dames qui a des besoins sur toute l’année.

Comment devient-on accordeur ? À quel moment avez-vous eu cette volonté ?

Cette envie de consacrer ma vie à l’accord m’est venue très jeune, à l’âge de 14 ans. Je ne fais que ça et je ne sais faire que ça. Mon parrain qui était un accordeur aveugle avait un atelier de réparation de piano. C’est lui qui m’a donné envie de faire ce métier. Ensuite, j’ai eu une formation à l’ITEM, l’Institut technologique européen des métiers de la musique au Mans. C’est la seule école aujourd’hui en France qui permet de devenir facteur de piano, l’artisan qui à la fois fabrique, restaure et accorde les instruments à clavier. Un accordeur, c’est quelqu’un qui va faire en sorte que les notes soient belles, que le musicien n’est qu’à se concentrer sur son interprétation. C’est un travail en amont réalisé dans la discrétion.

 

 

Un accordeur a-t-il besoin de savoir jouer l’instrument ?

Je ne joue pas de piano. Je joue seulement en autodidacte, mais je n’ai pas reçu de formation musicale. L’accordeur avec le musicien, c’est le même binôme qu’un pilote et le mécanicien, on est complémentaire, l’un ne va pas sans l’autre. Je connais très peu d’accordeurs qui jouent bien du piano. Mais j’écoute vraiment de tout, pas seulement des pièces de clavecin et d’orgue. En plus, j’ai des enfants adolescents qui me font écouter des styles plus actuels. J’aime aussi bien le baroque que le classique, le jazz, la variété.

La méthode d’accord est-elle différente entre le piano, le clavecin et l’orgue ?

La différence entre les trois instruments s’observe dans les gestes et le calage de la cheville qui ne sont pas les mêmes. Pour les clavecins et les orgues, il y a une différence de tempérament, c’est-à-dire en fonction à la musique qui est jouée, les diapasons et les manières d’accorder s’identifient à la musique qui va être jouée (dans le cas du clavecin et de l’orgue, à la musique ancienne). De plus, chaque groupe a une exigence d’accordage précise, alors que sur le piano moderne, les techniques d’accord sont les mêmes. Pour le travail de l’oreille, elle se développe naturellement. Plus on s’entraine, plus l’oreille s’exerce, plus elle a une écoute précise des sons.

Il y a des instruments qu’on aime plus que d’autres, mais chaque cas est intéressant, c’est toujours agréable de découvrir un nouvel instrument et surtout de retrouver un instrument qu’on connait déjà. Quelque soit les configurations et l’instrument, retrouver un instrument qu’on connait c’est toujours un plaisir, puisqu’on découvre son évolution, s’il s’est détérioré, amélioré avec le temps.

Je viens de finir la retouche du clavecin de Justin Taylor, on n’a pas le droit à l’erreur. On est responsable d’amener le clavecin au maximum de ses compétences. On se sent responsable et toujours agréablement surpris par ces instruments aussi magnifiques.

Est-ce que vous avez déjà connu un interprète mécontent de l’instrument que vous avez accordé ?

Je n’ai jamais eu de remarques mécontentes d’un artiste par rapport à mon accord. C’est arrivé que des instruments, lors de conditions extrêmes notamment extérieures, soient en mouvement. On entend à ces moments-là que l’accord ne peut pas rester parfait. Je ne le souhaite à personne, c’est notre hantise qu’il y est une note qui se désaccorde d’un coup.

À quelle période de l’année l’accord d’un instrument bouge le plus ?

L’accord est évidemment plus complexe en fonction des climats. Actuellement on est en plein dedans, on passe de 35°C à 17°C et l’hygrométrie passe de 50 à 90. À l’intérieur de l’abbatiale, il fait très humide et près de 500 personnes y circulent. Dans ce contexte, les instruments ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ces instruments sont très sensibles aux variations d’humidité du fait de leur construction en bois. Les instruments bougent beaucoup, donc on est obligé de réaccorder en permanence.

On compte en moyenne trois accords pour un concert : un accord pour la répétition, un accord plus ferme et une retouche avant le concert. Le temps d’accord dépend du contexte et des conditions avant le concert, par exemple sur la pression de l’entrée du public on accorde en 15 minutes. L’idéal pour un clavecin c’est 1h d’accord, pour un piano ça peut aller jusqu’à 2 heures. Il faut prendre le temps qu’on nous laisse.

Qu’est-ce que vous pensez du dicton : « certains musiciens passent plus de temps à s’accorder qu’à jouer » ?

On a de la chance pour les claviers que ça ne soit pas comme la harpe ou la viole de gambe, qui sont des instruments très compliqués à maintenir au niveau l’accord. À la fin d’un concert, ces instruments sont déjà faux. Notre contrainte, c’est de fournir un travail stable, c’est-à-dire qu’on n’est pas besoin de revenir sur ce qu’on a déjà réalisé.

Même un piano bas de gamme chez un particulier pour un enfant nécessite un gros travail. Un instrument haut de gamme ne nécessite pas plus de travail qu’un instrument bon marché. La récompense pour un accordeur, c’est de voir l’interprète qu’on admire jouer sur un instrument sur lequel on a travaillé.

 

Lucas Berard