19 July 2019 - écrit par Jean de la Roche

Retranscription ou interprétation, dilemme musical 

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Chaque musicien laisse son empreinte lorsqu’il interprète une oeuvre classique, mais la palette de nuances reste large.

Beaucoup de musiciens et de mélomanes en rêveraient, mais « personne n’a un enregistrement d’une cantate de Bach de l’époque », sourit Lionel Meunier, directeur artistique et chanteur de Vox Luminis, à la sortie d’un concert. En peinture, les œuvres et les intentions du peintre se conservent. Ce n’est pas le cas de la musique: seules les partitions traversent les siècles. Au-delà de l’interprétation froide et technique, la réinterprétation semble donc essentielle.

Dans le répertoire de la musique ancienne, aucun artiste n’y échappe. Chaque musicien est un créateur. « D’une même sonate réinterprétée, chacun tirera quelque chose de différent », assure Jean-François Reboux, membre du conseil d’administration de l’Abbaye aux Dames, à la sortie d’une conférence d’analyse d’œuvres de Bach et de Schubert. Chaque concertiste s’emparant d’une œuvre y apporte sa touche personnelle. Sa « patte » ou, en d’autres termes son empreinte. Son interprétation de la partition. C’est le petit plus qui, au-delà de la technique, donne toute son âme à la musique. « Apporter sa patte est un véritable apprentissage qui s’apprend dès les premières années et qui se travaille tout au long de la carrière, notamment grâce aux interactions avec les autres musiciens », souligne le jeune chef de chœur Igor Bouin, qui anime un stage opéra avec des enfants dans le cadre du festival de l’Abbaye aux Dames de Saintes.

Certaines partitions laissent d’ailleurs plus de liberté à l’interprète que d’autre.« Jusqu’à 1850, tout n’était pas écrit, les compositeurs laissaient plus de place à la réinterprétation de leurs œuvres », explique Igor Bouin. Certains ensembles comme Vox Luminis, présent cette année au festival de Saintes, font un travail considérable de documentation préalable, jusqu’à étudier la graphie des partitions. Si le compositeur écrit avec précipitation, cela va se ressentir dans leur représentation. Les informations sont parfois insuffisantes, ce qui laisse une plus grande place à l’interprétation.

La limite entre interprétation et retranscription d’une œuvre musicale est infime. Lionel Meunier est formel : l’artiste doit « se rapprocher d’une vérité même si cette vérité, personne ne l’a ». Il faut donner une part de soi à la musique lorsqu’on la joue même si cela nécessite de nombreuses discussions au sein d’un ensemble. L’équilibre qu’il faut tenter d’atteindre en tant que musicien est de respecter la musique et l’intention du compositeur tout en donnant de sa personne à la musique interprétée.

En musique, comme partout, il faut faire face au regard des autres. Lorsque le musicien choisit d’interpréter une œuvre, il prend le risque que son travail soit critiqué par d’autres concertistes au sein d’un même ensemble. « La critique peut nuire à l’envie de départ d’un musicien. Si l’on remarque qu’un projet fonctionne, il faut tenir son idée malgré la critique », argumente Igor Bouin.

Au-delà de l’orchestre, le public est également source de pression pour les artistes. Selon Jean-François Reboux, un artiste est forcément sujet à la critique lorsqu’il propose une interprétation. Mais le regard du spectateur n’a pas d’importance insiste-t-il, citant une phrase célèbre de Mravinski, chef d’orchestre soviétique: « Vous ne vous occupez de rien, vous jouez pour Dieu ».

Cependant, la critique peut également être bénéfique. « Qu’elle soit positive ou négative, c’est qu’on fait réagir. Le plus important est d’honorer la musique », souligne Lionel Meunier. « La critique reste toujours subjective. Tous les gens n’aiment pas les mêmes choses, vous savez, les goûts et les couleurs… » sourit Igor Bouin.

Léa S et Marie