Sportifs et musiciens : même combat et même esprit de compétition ?

Partager :

David Joignaux : percussionniste dans l’orchestre des Champs-Élysées.

Le musicien a-t-il une hygiène de vie particulière comparable aux sportifs de haut niveau ?

D’une certaine manière, oui. Mais je ne suis pas sûr que ce soit comparable, on ne recherche pas le même type de performance. Ce n’est pas une performance physique qui passe par un dépassement de soi, mais l’apprentissage d’un instrument demande une certaine communion avec son instrument, une intériorisation, une façon de faire fonctionner son corps, sa respiration pour comprendre la musique, pour sentir la musique afin de l’interpréter. Par exemple, quand on arrive sur une production d’orchestre, on doit connaître l’œuvre avant d’arriver. On a fait tout un travail personnel avant, qui est à la fois l’apprentissage du texte et, dans le cadre de la musique ancienne, l’apprentissage de la contextualisation de l’œuvre.

Y a-t-il dans un orchestre, où le collectif est important, une compétition entre les musiciens ?

Au sein du même orchestre, je ne crois pas. L’idée est de faire de la musique ensemble et donc de ne pas être concurrent, mais d’être en phase. Par exemple, j’imagine qu’au sein des cordes, avoir un excès de personnalité ou vouloir se mettre en avant individuellement nuirait au son du pupitre. C’est aussi vrai pour les solistes puisqu’il faut faire corps avec la musique. On cherche véritablement une connexion musicale donc humaine.

Est-ce que le stress influe sur la performance ?

Oui toujours. Il y a un bon stress. Le stress n’est pas forcément mauvais, ça dépend de la dose de stress et du type de stress. C’est de l’ordre du ressenti personnel. Je pense qu’on est tous stressés différemment. Peut-être que certains ne le sont pas du tout… En tout cas, l’adrénaline du concert, le plaisir de jouer une œuvre et le plaisir de retrouver des musiciens provoquent une décharge d’émotions qui est porteuse. Après, s’il y a trop de stress, ça peut bloquer.

Les concours ou les auditions sont-ils des moments de stress particuliers chez les musiciens ? 

Probablement. Il y a une différence entre le concours et l’audition. L’audition implique une organisation, on est face à soi-même et on doit donc se surpasser. Ce n’est pas la même chose en concours. En concours, on est vraiment en compétition. Le jury est en train de décider qu’un musicien sera meilleur qu’un autre. C’est la différence qu’il y a avec un sportif de haut niveau. Il y a le sportif de haut niveau qui recherche la performance personnelle et puis il y a les sportifs qui cherchent à battre les autres sportifs. En musique, si on cherche à reproduire ce schéma, cela nuit à la musique. Pour moi, un concours, donc un recrutement, est anti-musical, car il y a de fortes chances de ne pas recruter les bonnes personnes.

Par exemple, il y a des différences importantes entre la France et l’Angleterre. En Angleterre, on se rapproche de l’idée d’une audition : les musiciens sont convoqués à une heure précise comme lors d’un entretien d’embauche. Si plusieurs ont plu, ils vont choisir ces différentes personnes et les tester. En France, c’est exactement le contraire. Nous sommes mis dans une même pièce comme un panier de crabes, on attend notre tour, on attend d’aller à l’abattoir et à la fin de ce concours, ils auront choisi une seule personne. Je pense que l’audition est porteuse musicalement parlant et que le concours est destructeur. Les orchestres recrutant sur concours peuvent vraiment faire des erreurs qui s’entendent ensuite aux concerts.

Existe-t-il une forme de solidarité dans l’orchestre ?

Au moment du jeu, c’est obligatoire sinon ça ne sonne pas. Il faut ressentir les mêmes émotions. La musique se construit collectivement. Après, chaque orchestre a ses histoires. À partir du moment où des personnes travaillent ensemble régulièrement, il y a des histoires. L’orchestre, c’est comme un couple, il y a des hauts et des bas.

 

Aurélie Saraf : harpiste, dans l’orchestre des Champs-Élysées avec Philippe Herreweghe.

Le musicien a-t-il une hygiène de vie particulière comparable aux sportifs de haut niveau ?

C’est comparable dans le sens où on doit s’exercer quotidiennent pour pouvoir être toujours au meilleur de soi-même.

Y a-t-il dans un orchestre, où le collectif est important, une compétition entre les musiciens ?

Je ne dirai pas qu’il y a de la compétition dans l’orchestre des Champs Élysée. Après, il y a peut-être de la compétition au sain de certains orchestres, notamment dans les cordes, mais c’est plus une hiérarchie que de la compétition.

Est-ce que le stress influe sur la performance ?

Le stress n’influe pas, mais l’adrénaline oui. En concert, on joue généralement beaucoup mieux qu’en répétition parce qu’il y a de la concentration supplémentaire. C’est l’adrénaline qui fait qu’on se surpasse.

Existe-t-il une forme de solidarité dans l’orchestre ?

Bien sûr, il existe une énorme solidarité entre les musiciens. C’est très important puisque cela permet d’être le plus performant possible.

 

Virginie Descharmes : violoniste dans l’Orchestre des Champs-Élysées.

Le musicien a-t-il une hygiène de vie particulière comparable aux sportifs de haut niveau ?

Non, malheureusement on devrait ! On fait attention, on ne va pas faire une nuit blanche la veille d’un concert difficile. Je crois qu’on est connu pour ne pas être aussi rigoureux qu’un sportif de haut niveau.

Y a-t-il dans un orchestre, où le collectif est important, une compétition entre les musiciens ?

En tout cas dans cet orchestre, il y a peu de concurrence. Une fois que tu es dans l’orchestre, c’est plutôt de l’émulation. Si tu n’as pas trop travaillé ta partition, tu te sens un peu honteux parce que l’autre a travaillé à côté. Il y a des musiciens qu’on préfère, mais c’est comme dans la société. On ne travaille pas contre les autres, mais avec eux. C’est ce qui est beau, passionnant et difficile, c’est que tous, avec nos caractères différents, nos nationalités différentes, nos langages différents, nous devons jouer la même chose, on est censé avoir la même envie, la même idée au même moment. Si un musicien est très en forme et l’autre fatigué, celui qui en forme va tiré celui fatigué. Celui qui est plus calme va calmer ceux qui sont plus stressés.

Les concours ou les auditions sont-ils des moments de stress particuliers chez les musiciens ? 

Pas seulement. Je pense que tout artiste a une envie de dépassement. L’idée de perfection génère forcément un stress. Parfois, en ne vieillissant, on comprend que la perfection ne sera pas tout les jours là, peut-être jamais…

Est-ce que le stress influe sur la performance ?

Oui, c’est sûr. S’il s’agit d’un mauvais, cela peut abîmer des choses. Si c’est un bon stress, ça peut nous pousser dans nos derniers retranchements et nous pousser à donner le mieux qu’on peut.

Existe-t-il une forme de solidarité dans l’orchestre ?

Absolument. Dans un orchestre comme celui des Champs-Élysées, si quelqu’un a un souci, les musiciens se serrent les coudes, discutent. Heureusement, parce qu’on est souvent en tournée donc ça peut devenir assez dur. On a plus nos racines donc ça renforce ce côté amical qui est très fort.

 

Philippe Herreweghe, chef d’orchestre

Le chef d’orchestre a-t-il une hygiène de vie particulière comparable aux sportifs de haut niveau ?

Non, je connais trop de chefs qui dorment peu, qui boivent, qui fument, moi ce n’est pas mon cas. Par contre, il faut une santé de fer quand on arrive dans le métier. Il faut des nerfs d’acier, car, dans mon cas, je suis à l’hôtel 280 nuits par an. Je pense que je ne mange pas au restaurant que 30 fois dans l’année, donc il faut avoir une très bonne santé.

Pensez-vous qu’il y a une forme de compétition entre les musiciens ?

Non. Je ne peux que parler de mon cas. Entre chefs d’orchestre nous sommes différents. Disons qu’il y a de la place pour tout le monde, mais je pense que l’on a aucune chance si nous n’avons pas un profil précis. Si on est qu’un épigone, on n’a évidemment aucune chance. Mais quand on est animé du désir de faire de belles choses en musique et quand on en a la compétence et la connaissance, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde.

Il y a pas de concurrence vraiment, mais le problème aujourd’hui ce sont les jeunes qui, en grand nombre, obtiennent leurs diplômes et pour qui intégrer un orchestre devient très compliqué. Pour un jeune qui vient d’avoir son diplôme de violon, entrer dans un orchestre, ce n’est pas évident. Et dans ce cas-là, il y a une forme de concurrence et c’est le meilleur qui gagne. Comme en cyclisme… Moins que dans d’autres branches, c’est évident que quand on est bon, ça s’entend. Il n’y a pas de concurrence, les meilleurs gagnent, c’est tout.

Les concours ou les auditions sont-ils des moments de stress particuliers chez les musiciens ? 

Faire une audition, c’est évidemment un stress. Dans ce métier, il faut absolument être capable de maîtriser ses nerfs quand on joue en public. Il existe des musiciens qui ont tous les talents, mais qui ne résistent pas au stress des concerts et ceux-là, évidemment, ne marchent pas.

Y a-t-il une compétition entre les chefs d’orchestre ?

Non. Nos champs de compétences sont différents. Mais par exemple, pour obtenir des subventions par le biais des équipes de managers et donc de l’argent, il y a un peu de compétition.

Propos recueillis par Inès Tourdot