Philippe Hersant : « comme un peintre, une œuvre n’est jamais finie »

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De la composition à l’interprétation, des « ténèbres à la postérité », tel est le chemin de croix de La Harpe de David jouée par l’ensemble Nevermind et composée par Philippe Hersant. Rencontre. 

Un moment spécial se prépare ce lundi 15 juillet. Trente quatre ans que le festival attendait le retour de Phillipe Hersant… et pour la bonne cause ! Compositeur et musiciens sont réunis ce midi, dans l’abbatiale autour de leur création commune. Un vrai moment d’écoute, de partage pour Philippe Hersant, qui, caché au milieu du public, écoute attentivement sa nouvelle composition, La Harpe de David, joué pour la deuxième fois par l’ensemble Nevermind.

A une heure du concert, c’est détendu et accompagné de son attachée de presse que Philippe Hersant se présente. Arrivé de Paris le matin même, le compositeur est attablé à l’ombre de la grande voile. Que ce soit pour le cinéma, un orchestre ou pour la viole de gambe, la palette du compositeur Philippe Hersant est aussi riche en couleur qu’Iris et Lilas, du peintre Pierre Bonnard. Il grandit dans une famille qui n’est pas particulièrement mélomane; pourtant, à 6 ans, il découvre un disque, la Polonaise en Fa# Mineur de Chopin. « Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu envie d’être compositeur, je ne sais pas pourquoi ».

Très attaché aux instruments anciens et baroques, le compositeur est « toujours content d’écrire pour eux ». Malheureusement, comme le temps n’est pas extensible, il lui arrive de repousser certaines demandes à plus tard. « J’aime varier les plaisirs, passer de l’orchestre à quelque chose de plus intimiste. Si j’écrivais deux œuvres d’orchestre de suite, j’aurais l’impression de me répéter, d’être trop dans l’atmosphère de la pièce précédente ».

Malgré des moments de doute, Philippe Hersant n’a pas le temps pour l’ennui. Le rythme intense et les commandes s’enchaînent, le compositeur reconnait avec humour et réalisme, « avoir la pression du temps qui passe, des interprètes, on vous attend toujours un peu au tournant… En même temps, c’est toujours agréable. Il en faut un peu de pression. C’est un équilibre à trouver, un peu d’adrénaline n’a jamais fait de mal ! ».

La plupart du temps, ce sont les artistes qui prennent contact avec le compositeur : « mais souvent, je les connais d’une façon ou d’une autre. Ici, la demande est venue par le violiste Robin Pharo. C’est celui que j’ai connu en premier quand j’ai écrit plusieurs pièces pour viole de gambe ». Le travail de composition n’est pas qu’un travail de soliste assis des heures derrière son bureau parisien. C’est parfois un travail participatif en partenariat, particulièrement pour La harpe de David. « Ici, l’œuvre aurait dû être créer bien plus tôt. Ils ont travaillé sur une première version, j’ai changé des choses notamment dans l’écriture du clavecin puisque c’est la première fois que j’écris pour clavecin. J’ai beaucoup expérimenté. »

L’histoire de cette composition aurait pu finir bien plus tragiquement et le roi Saül serait resté dans sa mélancolie. « Un mécène devait financer la pièce mais il ne comprenait pas bien le mécanisme, il n’était pas très sérieux. » Heureusement pour nos oreilles, chevalier Hersant a gardé l’idée. « La contrainte est tombée mais le projet reste. » Une fois le cap de la composition passée, et tel un artiste, le compositeur peut changer son œuvre quand il le souhaite. Ainsi, Mahler, pour sa 5e symphonie, ne put s’empêcher jusqu’à la fin de sa vie, de retoucher sa partition tout comme Bonnard qui apportait ses pinceaux dès qu’il sortait afin de corriger ses œuvres quand il le souhaitait. Debussy, lui, pour son Prélude à l’après-midi d’un faune, corrigeait son œuvre devant les interprètes en plein concert ; ce qui rendait fou les musiciens : « comme un peintre, une œuvre n’est jamais finie ».

Les références aussi changent. Philippe Hersant, qui aime s’inspirer du cinéma, de la littérature, du théâtre ou même de la poésie, reflète ses accointances par des allusions à une pièce de Couperin, les plaintes et à une œuvre pour clavecin du compositeur baroque Kunao, qui a écrit 6 sonates bibliques dont une sur la mélancolie de Saül et La harpe de David. « Ce morceau, c’est Saül, débarrassé de sa mélancolie grâce au jeu de David. »

Entre héritage, référence au passé et innovation, on sent bien que c’est une pièce qui n’aurait pas pu être écrit XVIIe siècle. « Le pastiche ne m’intéresse absolument pas ! C’est une écriture contemporaine au clavecin. Je suis toujours surpris quand le passé surgis du présent. C’est une petite madeleine de Proust. J’aime ce télescopage des temps et des périodes. C’est pour ça que j’aime écrire pour instruments baroques parce que j’aime cette sonorité plus raffinée et moins puissante que les instruments contemporains. J’aime cette confrontation des deux univers. »

Critique et toujours en mouvement, la vision que le compositeur a sur son œuvre évolue avec le temps. « Chaque instrumentiste qui s’en empare me donne de nouvelles idées. Une œuvre vit toujours tant qu’elle est jouée. A partir du moment où elle est dans un tiroir, elle est morte. Mon regard change au fil du temps, c’est ça que je trouve formidable dans la musique : ça se renouvelle toujours. » De l’autre côté du clavecin, nevermind pour Jean Rondeau que le compositeur soit là ou pas.

« L’avantage de travailler avec un compositeur vivant, actuel c’est qu’on peut adapter en fonction du contexte. Ça donne des pistes pour travailler sur des compositeurs morts. » Après le concert, le compositeur, content de la prestation de l’ensemble, nous fait quelques confidences entre les loges et l’entrée des artistes. Infatigable, il aimerait bien « rallonger son œuvre ».

Inès