20 juillet 2017 - écrit par comabbaye

Collegium Vocale Gent joue un programme inédit

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Le Collegium Vocale Gent dirigé par Kaspar Putnins et accompagné au piano par Jan Michiels, a consacré leur concert à la musique de la seconde moitié du XXe siècle à travers les œuvres de deux compositeurs quasi contemporains : Gyorgi Ligeti et Alfred Schnittke. Ligeti a été un compositeur très inspirant pour le cinéma, en particulier pour Stanley Kubrick. Comme le rappelle la musicologue Hélène Décis-Lartigau, « ce programme du XXe siècle n’est pas forcément très accessible pour les fans du baroque », notamment dans l’utilisation d’éléments musicaux très conceptuels.

Le chef de chœur Kaspar Putnins nous a expliqué l’origine du programme : « J’avais travaillé auparavant avec le Collegium sur un répertoire de Schnittke très intéressant. Avec Jens van Durme, qui est le directeur artistique du Collegium Vocale Gent, nous avions toujours pensé à reprendre cette même voie où nous nous étions arrêtés avec cette production spécifique. Donc, le choix de partir sur une autre pièce de Schnittke était comme un mouvement naturel. Schnittke était un point de départ, et de là la décision a été prise de nous diriger également vers Ligeti, qui je pense fait un très bon rapprochement. Ce programme est une présentation de certains points forts de la deuxième moitié du vingtième siècle, et toute cette musique est toujours très fraîche, très actuelle ».

Gyorgy Ligeti est un compositeur fasciné par le thème biblique du jugement dernier qui a inspiré de nombreux artistes, notamment dans les requiem. En 1966, il écrit le fameux Lux Aeterna, le chant qui est chanté pendant la communion au moment de la messe des morts durant laquelle les gens se lèvent et se rapprochent du cercueil. L’œuvre a été écrite pour 16 voix a capella (4 sopranes, 4 altos, 4 ténors, et 4 basses).

Nous avons interrogé Karoline Hartman, alto du Collegium Vocale Gent sur sa vision du programme : « C’est un répertoire extrêmement difficile. Cela demande beaucoup de travail à cause de la langue. Nous avons, dans notre ensemble, deux russophones qui ont donc des facilités, mais pour nous c’est très difficile de chanter en russe. À côté de ça, c’est un répertoire merveilleux ». La caractéristique de cette musique du milieu XXe siècle est la présence de nombreuses indications inscrites sur la partition comme le tempo, ou les respirations.

Durant sa conférence autour du concert du Collegium Vocale Gent, Hélène Décis-Lartigau précise la présence d’une indication particulière sur la page de garde : « comme si cela venait de très loin ». La musicologue poursuit : « Cette expression est une sorte de disposition qu’on doit prendre dès le départ de ce concert. Il y a une réflexion sur l’infini, sur le temps qui passe. Comme si la musique était là avant que nous l’entendions, et qu’elle durera toujours même quand on ne le percevra plus ».

Selon elle, « c’est une musique qui s’expérimente, ce concert est une expérience physique et sensorielle ». En effet, la pièce débute sur un long pianissimo donnant l’impression d’un souffle qui ne cesse. La construction de la pièce rend la musicalité assez floue, il est quasiment impossible de suivre la pulsation. Kaspar Putnins ajoute : « Il y a quelque chose dans ces fréquences, dans ces progressions harmoniques qui est si intense, que cela a presque un impact physique sur nous. La façon dont il fait répondre l’espace avec les fréquences qu’il provoque est incroyable ».

Par ailleurs, le concerto pour chœur d’Alfred Schnittke est très peu connu du public. « C’est la révélation du festival de cette année », déclare la musicologue. Ce concerto est une commande du ministère soviétique de la culture de 1985. La structure de l’œuvre est identique à celle de Ligeti, c’est un cœur mixte de 16 voix.

Le texte est en 4 parties, tiré du livre mystique des Lamentations de Grégoire de Narek, théologien arménien. Texte mystique, parfois très poétique, qui s’adresse directement à Dieu. L’écriture fonctionne en crescendo/decrescendo en commençant par un pianissimo, formant des sortes de vagues qui vont se succéder. Les pianissimos sont très prononcés transformant les voix en murmures, les fortissimos sont éclatants et coupent le souffle.

Techniquement les deux compositeurs se rejoignent dans leur travail sur la respiration et « dans leur écriture musicale provoquant une réaction physique », rappelle la musicologue. « C’est une sorte de contemplation de quelque chose de très loin et même temps très intime ». Ils se distinguent également dans leur narration. En effet, le texte de Schnittke est construit par vers et il y a un mécanisme d’opposer les voix les plus graves avec les plus aigues. « Je ne peux pas imaginer une meilleure prononciation ou interprétation de ce texte, de cette image de lumière éternelle que celle qu’en fait Ligeti », déclare Kaspar Putnins. « Je pense que cela ouvre réellement un nouvel espace dans la conscience de l’auditeur, avec des magnifiques structures harmoniques. Ensuite, Schnittke, dans une manière très différente, étant très dramatique et très théâtral, parle de ces royaumes spirituels. Les deux compositeurs parlent d’une lumière éternelle et d’un monologue d’un humble être humain qui essaie de pénétrer dans ce monde de lumière éternelle. Il a ce sens et essaie de se transformer afin de percevoir les qualités de cette lumière éternelle. Je pense que le dialogue entre les deux est essentiel et fait beaucoup de sens, et est d’une grande beauté ».

Finalement selon Karoline Hartman, « cette musique doit être vécue en soi. Une fois qu’on l’a ressent en soi et quand on sait ce qui vient après, c’est en fait à chaque inspiration que l’on sait où l’on doit aller. Nous avons surtout concentré notre travail sur le texte, sa compréhension et sa prononciation ». En effet, c’est une nécessité d’avoir acquis au préalable la mentalité du compositeur. « Plus nous arriverons à pénétrer dans l’état d’esprit du compositeur, dans les sujets qu’il a dû confronter, plus l’interprétation de sa musique sera bonne. On ne peut pas transplanter l’esprit de quelqu’un, et on ne peut pas être sous la peau des autres, mais nous pouvons, dans une certaine mesure, s’identifier. C’est toujours important, c’est comme une vérité universelle dans le jeu de la musique ».

Lucas Berard et Lauren Easum