Laüsa, le renouveau de la musique gasconne

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Cette année, le groupe de musique traditionnelle gasconne Laüsa (« étincelle » en gascon, variété d’occitan) est venu nous faire danser pour célébrer la fête nationale au Festival de Saintes. Après deux ans de recherche, reclus chez leur violoniste (et mandoliniste!) Camille, les quatre compères écument les scènes alternatives du sud-ouest et font remuer les jambes des plus récalcitrants à la danse. Si Laüsa prouve sur scène son grand respect de l’héritage culturel gascon, le quatuor éclectique n’hésite pas bouger les lignes en insérant dans leurs morceaux des éléments modernes, du jazz au rock en passant par la musique africaine. Le 14 juillet, les quatre Occitans ont donné rendez-vous sous la voile pour un bal pas si tradi que ça.

Après leurs balances nous avons rencontré Camille, la chanteuse Juliette, l’accordéoniste Lolita et le joueur de bouzouki et de guitare électrique à quatre cordes, Julien. Drôles et pleins de vie, ils nous ont expliqué leur projet musical détonnant !

Pouvez-vous vous présenter ?

Camille : Laüsa est un projet musical fondé en 2015. Avec Lolita on jouait en duo (« La Forcelle ») depuis une dizaine d’années et on a rencontré Juliette et Julien sur la route. Nous avons passé deux ans à travailler sur le répertoire traditionnel gascon et nous tournons depuis avril 2017.

Lolita : Notre avons une esthétique musicale issue du traditionnel qu’on essaie d’ouvrir à d’autres choses. Il y a des percussions, de la basse, du chant.. On fait de la pop quoi ! (rires)

Comment avez-vous choisi votre nom ?

Juliette : C’était difficile de trouver un nom de groupe. On voulait un nom qui soit joli à prononcer, mais aussi à voir écrit, mais qui ne soit pas trop caricatural, car les noms en occitans font vite folkloristes. Avec le tréma sur Laüsa, on ne sait pas trop d’où on vient, ça pourrait être Tchèque ou Hongrois !

Lolita : Ça se dit « Lahuse ». C’est marrant de voir que les gens n’osent pas dire le nom. Même nous, au début, on était pas hyper sûrs de la prononciation !

Camille : la symbolique nous plaisait aussi beaucoup : l’étincelle c’est une parcelle incandescente qui émane de la friction de deux corps, c’est joli…

Comment composez-vous ?

Julien : La composition se fait collectivement. Quelqu’un arrive avec une mélodie et un texte et chacun va s’approprier la mélodie avec son instrument. Et puis on va le jouer, jouer, jouer… Jusqu’à ce qu’on trouve des arrangements qui intéressent tout le monde. Ensuite on les fixe à l’oral. Parfois on écrit les structures, mais il y a vraiment une démarche de partage de la musique par l’oralité.

Camille : On travaille souvent d’après des enregistrements de musiques traditionnelles qui ont été collectés depuis des dizaines d’années. Tous ces fonds sont maintenant trouvables dans différents lieux du Sud Ouest, comme aux archives départementales de Bordeaux, au conservatoire occitan de Toulouse ou sur des plateformes internet.

Juliette : Parfois on travaille sur des poèmes contemporains en occitan. Il y en a un qui est en languedocien, mais on l’a traduit en gascon, car le parler est différent.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de travailler sur le répertoire de musiques gasconnes ?

Julien : Parce que c’est là d’où on vient ! (rires)

Camille : Ça a commencé quand on a travaillé en duo avec Lolita. On s’est attaché au répertoire de musiques à danser. C’est là qu’on a fait nos armes, qu’on s’est amusés et qu’on a eu un retour du public, surtout de la part des danseurs. La musique traditionnelle est souvent liée à un territoire, du coup on a beaucoup travaillé sur cette notion. On a eu envie de faire revivre une musique tout en la gardant ancrée sur son territoire. A côté Juliette a son histoire avec la langue, ses grands parents sont gascons et elle est locutrice de cette langue.

Lolita : Pour moi, il n’y a pas de revendication identitaire dans notre projet. C’est plutôt une mise en valeur culturelle d’une langue qui est encore là et qui est belle. Il faut la faire vivre !

Camille : Il y a un rapport très fort entre la langue et la musique. La musique a l’accent du territoire d’où elle vient.

Quel est l’accent musical du Gascon ?

Julien : C’est chaud ! Il y a beaucoup de diphtongues, ce qui apporte une élasticité. C’est une langue qui coule et quand c’est Juliette qui chante, ça devient complètement élastique. C’est très chantant.

Que pensez-vous du rapport des Français face à leur patrimoine ?

Camille : On est dans une dynamique de réappropriation culturelle. J’ai l’impression que le mouvement de globalisation des modes de consommation et de vie a fait que beaucoup de gens se posent la question de ce qui leur est propre. En France, il y a des endroits où c’est resté plus fort que d’autres, comme en Bretagne ou au Pays basque, car le mouvement de réappropriation a été relancé dès les années 1970. La coupure a été moins longue et moins forte, donc il y a moins de pertes dans ces cultures.

Lolita : Ce mouvement de réappropriation est mondial… Et il n’y a qu’en France que c’est mal vu! Dès que l’on rentre dans les cultures, qu’on cherche un peu et qu’on essaie de reprendre ce qui était là avant, on est vu comme des fachos. Alors que les pays voisins disent « Oh c’est cool ! ». C’est dans les autres pays qu’on vient nous chercher : le Portugal, l’Espagne, l’Italie… On va même jouer au Canada bientôt !

Pourquoi pensez-vous que ce rapport à la tradition est souvent perçu négativement ?

Camille : Avant qu’on dise que c’est un truc de facho, on disait que c’était un truc de cul-terreux ! (rires)

Juliette : C’est parce que dans l’est de la France, c’est un mouvement de droite, pareil en Occitanie ou en Bretagne. Il n’y a qu’eux qui ont gardé leur culture.

Vous considérez-vous comme un groupe folklorique ?

Lolita : Pas du tout, c’est trop péjoratif. On est vraiment dans une démarche de musique moderne.

Julien : Sinon on aurait des sabots, des brebis et des vaches ! Moi j’amène un côté un peu rock avec de la guitare saturée.

Avez-vous reçu des critiques de la part des personnes qui travaillent sur la réappropriation culturelle?

Camille : Non, il y a plutôt de la bienveillance.

Lolita : C’est assez incroyable. Même les gens qui ont été à la base de la réappropriation, qui sont dans ce milieu-là depuis 30 40 ans, sont soutenant de notre projet.

Julien : C’est surtout parce que c’est quelque chose qui s’est rompu. Ils sont content de voir qu’il y a aujourd’hui des jeunes qui reprennent les anciennes cultures.

Comment faites-vous pour parler autant au grand public qu’aux personnes impliquées dans la réappropriation ?

Camille : C’est une sincérité, je pense. (rires) La musique, quand tu la fais sincèrement, que tu es engagé dedans, les gens sont touchés, que ce soit du clavecin, du rock ou du jazz.

Julien : On essaie de faire cette musique intelligemment : quelque chose de construit, de riche, c’est pas un patchwork. On a pris le temps de peaufiner toutes nos influences pour en faire un truc intelligent, et surtout qui ne gène pas les danseurs. Il n’y a pas un thème rock qui casse le truc, c’est la musique qui l’amène.

Juliette : Oui, ça reste le point de mur qu’on ne lâche jamais : être au service de la danse.

Camille : Et aussi, on a vraiment travaillé ce lien avec les sources de musique traditionnelles. On fait un lien entre musiques actuelles et traditionnelles.

Vous n’avez pas peur de perdre l’authenticité de cette musique ?

Juliette : Non, on est vigilant. On connaît suffisamment la musique traditionnelle pour savoir à quel moment on transgresse, c’est comme ça qu’on ne perd pas l’authenticité.

Julien : En fait on n’en sait rien ! (rires) Si il n’y avait pas eu cette rupture, qu’est-ce que cette musique serait aujourd’hui ? Si ça se trouve elle serait encore plus moderne que ce que l’on fait !

Pourquoi utilisez-vous des instruments – tel le bouzouki et la mandoline – qui ne sont pas issu de la musique gasconne ?

Julien : C’est joli, et on savait en jouer ! (rires)

Lolita : Ça permet de changer les timbres de l’accompagnement. La mandoline, grâce à ses cordes pincées, a une brillance et un côté cristallin qui manquait au groupe.

Camille : On dit souvent que c’est le propre des musiques traditionnelles vivantes d’absorber de nouveaux instruments. Le bouzouki irlandais a été créé dans les années 1960 d’après le bouzouki grec, c’est très récent. Un jour il y aura un bouzouki gascon !

Et vous écoutez quoi en ce moment ?

Julien : AC/DC

Juliette : Esperanza Spalding

Lolita : Archangel.. Et Stromaé aussi !

Camille : De la musique malienne et Bazar Bla, un groupe suédois assez rigolo !

Texte Cécile Tessier

Photo : Mya Cote des Combes